Conférence du samedi 22 mars 2025 avec Johanne Lemieux :

L’attachement ou l’art d’être un parent jardinier à Orléans

L’une des membres du bureau d’EFA 45 prend la parole et commence par remercier Mme Lemieux pour sa présence à Orléans aujourd’hui. Elle mentionne également les autres EFA partenaires : EFA 41 et EFA 37 et les remercie pour l’organisation tout comme la ville d’Orléans qui nous permet d’assister à cette conférence dans ce magnifique cadre qu’est le jardin des plantes.

Mme Lemieux prend ensuite la parole et remercie EFA pour l’invitation, c’est un plaisir pour elle de transmettre « ses archives ».

L’allégorie du jardinier :

Le thème du jour sera l’allégorie du jardinier et Mme Lemieux reviendra sur ce dont nous avons du contrôle et ce sur quoi nous n’en avons pas, ou moins. En effet, nous ne pouvons changer les facteurs de risques pré adoption mais nous pouvons faire le meilleur travail possible dans le jardin du post adoption.

Le parent adoptif peut parfois se sentir coupable de ne pas avoir été présent avant

L’allégorie du mélèze :

Afin que nous percevions cette allégorie, Mme Lemieux nous partage une expérience qu’elle a vécue.

Cette histoire s’est déroulée au Canada alors qu’elle n’était qu’une petite fille (environ 7-8 ans). Comme chaque automne, elle se promenait à bord du pickup de son grand-père lorsqu’elle vit des sapins et constata qu’ils étaient morts ! Son grand-père lui informe alors qu’il existe différents types de conifères et que les mélèzes perdent leurs aiguilles à l’automne. Ils retrouveront leurs aiguilles au printemps.
Au-delà de percevoir la forêt ici, il est important de lire le message des différentes essences de la nature. L’arbre n’est pas mort malgré son apparence. Beaucoup de familles qui ont elles-mêmes adoptées ont été des sapins. Les enfants adoptés sont des mélèzes avec des caractéristiques bien particulières. Ils perdent leurs aiguilles aussi.

L’attachement :

L’attachement en adoption, c’est comme une greffe pour les arbres. Prenons l’exemple d’une greffe de citronnier, elle peut prendre mais pour cela il faut des soins. Grâce à ces soins, l’arbre sera en mesure de poursuivre sa croissance.
En adoption, le fonctionnement est identique, cependant, il faut le lien d’adoption.
L’adoption est quelque chose de factuel et de légal mais elle doit aussi se vivre et se ressentir. Un attachement se crée peu à peu. L’adoption ne fait que débuter à l’arrivée de l’enfant : le faire famille débute alors.
Plusieurs conditions sont nécessaires pour que cet attachement naisse.


Quelle est la différence entre l’attachement avec un enfant « modèle de base » et l’attachement avec un enfant adopté ?
Il faut savoir que l’attachement n’est pas non plus nécessairement automatique avec un enfant biologique. Parfois le parent se dit : ma vie n’a désormais plus d’importance, seule la protection de mon enfant compte désormais. Ceci peut parfois prendre du temps, cela est favorisé par la biologie mais ce n’est pas garanti.
Parfois, les parents se sentent honteux car l’attachement ne se fait pas de suite. Ils ne se sentent pas dans l’expérience d’être parent et cela peut être vécu comme un tabou.

Retour à l’allégorie du jardinier :

Il existe des facteurs de risque et des facteurs de protection, ils sont toujours multifactoriels. C’est aussi ce qui fait que nous avons plusieurs solutions possibles. Il s’agit d’une approche systémique.
Afin qu’une famille devienne fonctionnelle, plusieurs éléments doivent être présents :

  • Quelle est la plante qui a été adoptée ? -> Connaitre ses caractéristiques
  • Quel est le profil du jardinier ? -> Si le jardinier n’apporte pas de ressources à la plante (eau ..), elle ne pourra pas se développer.
  • Quelle est la météo ? On ne maitrise pas la météo. Un évènement extérieur peut venir tout détruire (guerre, catastrophe naturelle…). Dans la vie, nous ne contrôlons jamais tout. Certaines variables peuvent empêcher de prendre soin d’un enfant.
    Nous devons nourrir ce champ et cet attachement. L’enfant a des besoins dès sa naissance. De plus, chaque enfant né avec un tempérament qui lui est propre (plus ou moins nerveux, ouvert …). Chaque tempérament a ses avantages et ses inconvénients.

Le jardinier a lui aussi des fleurs (= qualités/avantages) : patience, expérimentation …
Tout jardinier a aussi des mines (une part de vulnérabilité = problèmes, zones d’ombre), or s’il s’agit d’un enfant biologique, le lien se construit avec un jardinier qui va utiliser ses propres fleurs pour détruire ses propres mines.
Si un enfant est en bonne santé, le parent baisse ses propres mines anti personnelles (ses armes intérieures) et l’attachement se développe alors. Ces armes sont faites pour que les gens puissent s’attacher.

« Les enfants existent pour finir d’élever leurs parents »

En adoption, on ne cherche pas des jardiniers (les parents) sans mine mais avec quelques mines que l’on connait. Il faut cependant beaucoup de fleurs !
En effet, davantage de facteurs de protection par rapport aux facteurs de risque sont nécessaires.
Les parents adoptifs veulent devenir parents pour les mêmes raisons que les parents biologiques. Nous avons donc également les mêmes caractéristiques.

Il est important que le parent jardinier n’ait pas trop de mines dont il n’aurait pas conscience.

En effet, les enfants par adoption eux en détiennent beaucoup lorsqu’ils arrivent au sein de nos familles et nous ne les connaitrons pas toutes.

« On ne sait pas ce que l’on ne sait pas. Mais quand on sait, on fait mieux ».


Les mines des parents ont le pouvoir de faire sauter celles des enfants et vice versa. Dans un premier temps, il est important de savoir qu’il peut être traumatisant de s’occuper d’un enfant traumatisé. C’est traumatisant car rappelons que l’adoption est une mesure de protection de l’enfance.
Cette mesure de protection de l’enfant induit que l’on trouve des parents à un enfant et non l’inverse.
Pour être adopté, l’enfant doit être disponible car le début de sa vie n’a jamais été formidable. Il ne peut être adoptable tant qu’il n’est pas prêt. Il vit de nombreux facteurs de risque qui peuvent mettre à mal son avenir. C’est pour cela que l’on cherche à stopper ces facteurs de risque afin de l’apaiser, de la soigner et de stopper la survie pour laisser place à la vie. Tout cela est le travail du jardinier.
Ce passage, c’est comme jardiner, ça prend du temps !
Naitre en bonne santé et dans sa famille biologique est différent, nous sommes souvent dans « la vie » dès notre naissance, et pas dans « la survie ». En revanche, cette différence que l’on rencontre avec un enfant adopté n’est pas insurmontable. Il faut accepter cette étape, sans quoi cela peut sembler pénible et long.
L’amour et les bons soins n’ont pas pour vocation de tout réparer mais de stopper les dégâts.
Les soins des 1 000er jours sont essentiels pour la santé mentale du futur adulte en devenir. C’est important et naturel de le faire, les êtres humains ont toujours pris soin de leurs bébés.
Notre travail de jardinier consistera à s’occuper de notre propre mine pour aider notre enfant à déminer les siennes. L’enfant biologique lui n’a pas encore de mine au tout début de sa vie.

Le champ des ressources :

Parfois, le jardinier est dévoué mais se trouve dépourvu de ressources avec un enfant abandonné. Il est important de conscientiser en amont notre capacité à s’occuper d’un enfant et de se poser les bonnes questions.
Par exemple, est-ce que mon travail me permet un long congé d’adoption ?
Il faut garder en tête que lors d’une adoption ce n’est pas la maman qui est en convalescence mais l’enfant.
L’attachement est long et ne se fait pas par procuration. L’un des plus grands facteur de protection pour une greffe réussie c’est d’être là, d’être présent pour l’enfant.
Si l’on peut rester davantage de temps près de l’enfant, l’attachement est plus solide et les facteurs de réussite sont plus élevés.
Les ressources concernent également les professionnels autour de l’enfant (médecins etc). Avoir des référents permet de jardiner correctement et être un bon jardinier c’est savoir s’entourer des personnes qui s’y connaissent en adoption.

La météo :

La météo n’est pas contrôlable, en revanche nous pouvons agir sur certains facteurs afin qu’elle nous soit moins défavorable (par exemple se faire vacciner lorsque l’on va chercher notre enfant à l’étranger afin de limiter les risques de contracter une maladie).

Le jardinier :

En adoption, on recherche des personnes qui souhaitent donner plutôt que recevoir. Pour cela, l’adoption doit répondre à des besoins sains et matures.
Mme Lemieux fait référence à la pyramide de Maslow. De bonnes bases sont nécessaires avant que les autres besoins naissent et puissent être comblés.
Vient ensuite le besoin de sécurité si les besoins premiers sont réunis. Ces besoins en lien avec la sécurité sont physiques, psychique et perçus. La sécurité est toujours réelle ou perçue.
Les enfants se sentent souvent en danger au début de leur adoption. Il faudra alors les rassurer et les aider à enlever leurs mines.
Le troisième besoin est le besoin d’appartenance, par exemple le fait d’appartenir à une famille.
Une fois que les trois besoins sont complets, les deux derniers étages peuvent arriver :

  • Se sentir compétent dans quelque chose
  • Trouver un sens à sa vie

Deux journées sont importantes dans la vie d’un être humain : le jour où l’on nait et le jour où l’on sait pourquoi l’on est né.

D’où l’importance à ce que chacun arrive au dernier étage de la pyramide de Maslow.
Avoir envie d’aider son enfant à culminer vers ces étapes 4 et 5 de la pyramide est essentiel, cela doit faire partie des raisons d’adopter.

L’attachement se construit et n’est jamais automatique. Une certaine distance est parfois présente au début, selon l’histoire de chacun.
Il est important de regarder l’enfant comme il est et non comme nous voudrions qu’il soit.

La conférencière nous conseille le film Lion qui est selon elle très juste et proche de la réalité.
Accepter l’enfant c’est accepter ses goûts, son tempérament, ses émotions. C’est important pour l’attachement de prendre du plaisir à passer du temps avec lui et d’être en connexion.
L’empathie est également essentielle afin de ne pas toujours remettre en question ses émotions.
Accueillir les émotions de l’enfant ne veut pas toujours dire accueillir également son comportement.
Regarder son enfant dans les yeux c’est comme arroser une plante, mais cela peut être difficile pour lui car il n’aura pas souvent été regardé dans les yeux auparavant. Le regarder revient à lui dire : je sais que tu es là et que tu existes.
Le jardinier doit être en capacité de différer ses propres besoins. L’enfant a besoin de parents en bonne santé longtemps ! Avoir ses propres ressources et ses propres frontières et ainsi la meilleure façon de prendre soin de soi.
L’enfant adopté est un enfant à besoins sophistiqués, il a donc besoin d’un parent jardinier en pleine forme !

Quelle plante ?

Rien ne se fait automatiquement, ce n’est pas l’âge ou les problèmes de santé qui fait qu’un enfant est à entretien sophistiqué. C’est surtout son vécu pré adoption qui définit cet entretien.
Le postulant doit être en mesure de se poser ce type de question : Quelle sorte de plante on se sent capable de cultiver ?

Il est possible de qualifier ces enfants en fonction de leur vécu.
Tulipe : entretien facile
Géranium : entretien plutôt facile mais avec quelques difficultés temporaires (par exemple quelques difficultés dans les apprentissages mais sans diagnostic ou encore une immaturité affective)
Orchidée : Difficultés lors de l’attachement (insécurité ou problèmes avec le lien), cela peut aussi être un trouble DYS. Mais ils vont fleurir si l’on continue à les arroser.
Cactus : (environ 10% des enfants adoptés), ils peuvent fleurir mais ils piquent et il ne faut pas trop s’en approcher. C’est un enfant avec un handicap permanent et qui a besoin d’un entretien très sophistiqué. C’est souvent le manque de soins qui a développé cet handicap. On se dit parfois qu’on aurait pu le sauver si nous étions arrivés avant mais il est important de ne pas culpabiliser en s’inventant une autre réalité.

Le jardinier doit bien connaitre les besoins de la plante et continuellement s’y adapter.
Il est important de connaitre le style d’attachement de l’enfant, celui qu’il avait lors de son arrivée. L’attachement est un lien visible, Mme Lemieux le compare au cordon ombilical.
Sans ce lien, on se sent comme incompris, c’est ainsi que cette connexion est le premier outil du jardinier.
Sans cette connexion, l’enfant ne sera pas non plus capable de décoder nos émotions à nous. Ce lien se construit avec le ou les donneur(s) de soins. C’est la figure d’attachement de l’enfant.
Ce premier comportement d’attachement est un appel à la connexion, et si l’enfant échoue dans celle-ci alors il est dans l’incompréhension et appel le SAMU (pleure).
Plus l’enfant est petit, plus il est nécessaire de répondre rapidement à ses besoins. L’objectif est alors de rapidement faire baisser ses hormones de stress toxiques. Notre travail est d’apaiser l’enfant. Un tout petit n’est pas en mesure de s’auto apaiser.
Une plante ne se développe pas qu’avec de l’eau, il lui faut aussi du soleil par exemple. L’eau ne répond qu’à la survie de la plante mais pas à son développement.
L’enfant va adopter ensuite un comportement mignon, c’est le KAWAI (mignon en japonais).
Si le bébé a une figure d’attachement qui est stable alors il va petit à petit apprendre à parler sécurisé. C’est un cadeau pour la vie qui va lui permettre de savoir comment régler des conflits par exemple.
Un enfant sécurisé sait que son parent est là et qu’il répond quand il l’appelle. Il est important de retenir que 95% des enfants qui arrivent par adoption ne sont au départ pas sécure. La bonne nouvelle est qu’ils peuvent apprendre à parler sécurisé si les jardiniers le parlent.

Le jardinier doit arroser longtemps sa plante et lui donner du soleil, verser trois seaux d’eau d’un coup ne sert à rien.

Mme Lemieux termine avec quelques recommandations littéraires :

  • Hugues Daniel, construire les liens d’attachement : histoire d’un enfant traumatisé avec ce qui marche et ne marche pas (elle a fait la préface)
  • Film Lion de Garth Davis

Merci à Mme Lemieux et à EFA pour cette riche conférence.

Natacha et Kevin

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