
EFA 37 accueille avec plaisir ce soir Mme Lemieux, travailleuse sociale et spécialiste reconnue de l’adoption. Elle dispose d’une approche novatrice sur la parentalité adoptive, la présidente d’EFA37 prend la parole et la remercie pour le partage de ses savoirs avec nous. Mme Lemieux est autrice de 3 ouvrages :
- La normalité adoptive : les clés pour accompagner l’enfant adopté (2013)
- L’adoption : mieux vivre les trois premières années après l’arrivée de (2016)
- Les adoados : mieux vivre l’adolescence de l’enfant adopté (2023)
Mme Lemieux commence par remercier EFA pour l’accueil, c’est un honneur pour elle de venir pour la première fois à Tours ce soir.
Qu’est-ce que la normalité adoptive ?
Elle commence par expliquer le concept de la normalité adoptive : s’il s’agit d’une expression inventée, les concepts ne le sont pas et sont essentiels.
Il y a tout d’abord les enfants modèles de base (biologiques), puis les enfants adoptés qui ont des options supplémentaires.
Historique de l’adoption au Québec : comment avons-nous compris que l’enfant adopté ne serait jamais un enfant modèle de base ?
Mme Lemieux nous raconte l’histoire de l’adoption au Québec. Longtemps, les naissances hors mariage étaient pointées du doigts, les adoptions l’étaient donc aussi car elles découlaient souvent de cela. Cependant, on a toujours adopté dans son pays. La laïcité n’existait pas avant 1960, l’Église catholique était donc surpuissante et associait les enfants nés hors mariage à la honte, à un péché.
Puis s’est peu à peu posé la question suivante :
Quels sont les facteurs de risques et de protections pour que l’adoption ne soit pas juste légale mais soit une mesure de protection et d’amour ?
Durant longtemps, on a ignoré les besoins et la situation spécifique des enfants adoptés. Or, l’adoption est avant tout un moyen de protection de l’enfance.
Si le début de vie est chaotique, il y aura nécessairement des options supplémentaires.
Pourquoi prenons tous soin des bébés s’il n’y a pas d’impact futur sur leur santé mentale et physique ? -> Si on a toujours chouchouté les bébés, c’est bien que cela change quelque chose pour la suite de son développement et de sa vie.
Malgré les facteurs de risques non souhaitables de ces bébés adoptés, un lien d’attachement est possible tout comme le « faire famille ». Il convient seulement de tenir compte de cette normalité adoptive.
Avant, nous pensions que l’amour et les bons soins allaient tout réparer et que l’enfant redeviendrait un modèle de base. Mme Lemieux nous raconte que certains enfants ont pris l’avion dans des conditions déplorables (lors d’adoption internationale). Les enfants tentaient alors de se sur-adapter. On pensait que cela était synonyme d’une adoption réussie, tout comme le fait que l’enfant ne recherche pas ses origines. Si cela ne fonctionnait pas, on disait que c’était génétique ou que l’enfant avait une pathologie.
Peu à peu, dans les années 90 avec le début de l’imagerie médicale, nous découvrons davantage d’informations sur le développement du cerveau humain. Un lien est clairement établi entre le développement cérébral et les enfants maltraités et/ou négligés.
Il existe donc des conditions préalables à la disponibilité de l’enfant face à son adoption.
On en conclut alors que l’on va devoir outiller les professionnels, les familles d’accueil et les familles adoptives face à cette réalité. L’objectif est d’arrêter les facteurs de risques et augmenter les facteurs de protection ainsi que de trouver des familles solides pour accueillir ces enfants.
Un enfant adopté qui fonctionne correctement n’est pas comme un enfant biologique, ils ont leur propre normalité adoptive. Comprendre cela est tout l’objectif de cette soirée et de l’ouvrage du même nom de Mme Lemieux.
Comprendre la normalité adoptive :
Plus un enfant a été exposé à des « expériences adverses de petite enfance », et ceci peut arriver sans être adopté (guerre, violence, maltraitance …), plus il va correspondre à une normalité bien caractéristique.
Quelles sont ces caractéristiques ?
Ce sont des étapes de besoin. Mme Lemieux se réfère à la pyramide de Maslow.
Nous avons tout d’abord tous des besoins communs (boire, manger…), et ces besoins de base sont essentiels.
Ensuite, chaque enfant a des besoins uniques, et même si on a plusieurs enfants leurs besoins peuvent être différents. Il est possible de traiter chacun de ses enfants de manière équitable sans être égal.
Après ces besoins communs et uniques, il y a les besoins spécifiques et très spéciaux pour les enfants à particularité (maladie, handicap, …).

Ces besoins répondent à des caractéristiques généralisées qui sont parfois temporaires. Les parents ne sont souvent pas équipés pour comprendre cette partie des besoins de leur enfant.
Mme Lemieux poursuite avec cette phrase :
« L’adoption ne guérit rien, elle doit arrêter les dégâts. »
La conférencière détaille ensuite les 12 besoins très spéciaux de ces enfants exposés à des « expériences adverses de petite enfance » (dont font partie les enfants adoptés) :
1/ Des survivants :
Ces enfants sont tous des survivants. Ils ne sont pas souvent issus de grossesses heureuses et ont eu peu de soins prénataux. Ils auraient pu ne pas survivre à une grossesse, à un accouchement et à un abandon. Ils vont ensuite s’accrocher et réussir à trouver leur famille pour la vie, il est important de leur raconter tout ça.
2/ Entretien sophistiqué :
C’est un peu comme les voitures : certaines ont besoin de plus d’entretien que d’autres ! Cet entretien demeure et n’est pas là qu’à l’arrivée de l’enfant. Cependant, il y a certes plus de travail au début car il y a le phénomène d’attachement, apprendre à se connaitre etc. Mais cet entretien sophistiqué ne doit jamais cesser car ces enfants ont besoin de plus de ressources tout le long de leur vie.
3/ Un attachement complexe :
Le vrai sens de l’adoption est ce lien social et émotif. Lorsque le bébé est dans le ventre de sa mère, il y a des échanges chimiques des besoins via le cordon ombilical. L’attachement débute ainsi dès ce moment et à travers ce « câble » durant toute la grossesse.
Le bébé humain est le plus fragile de tous les bébés mammifères à la naissance, notamment lorsque le cordon est coupé (perte de la manière de se nourrir et le bébé en est incapable seul).
Ils sont fragiles et impuissants surtout les neuf premiers mois. Ils savent qu’ils doivent « kidnapper » émotivement au moins un adulte afin de survivre.
L’attachement du côté du parent c’est lorsque l’instinct de protection est plus fort que tout dès lors que notre regard se pose sur l’enfant.
Le bébé humain détient deux armes secrètes :
1/ le SAMU : Il sait pleurer et crier lorsqu’il est submergé par les hormones de stress (alerter).
2/ Être KAWAI : Il détient une grosse tête et un petit corps ce qui le rend attirant pour les adultes.
Lorsqu’il pleure, il y a urgence que le donneur de soins réponde, surtout durant les 1 000 premiers jours de vie. Durant ce temps, l’enfant est très sensible au stress. Si personne ne vient apaiser la monter des hormones de stress cela peut nuire à sa construction ainsi qu’à son développement.
S’il parvient à alerter un adulte, alors il se sent important et précieux, en connexion avec les autres humains, les hormones de stress redescendent.
Je suis compétent à ce que l’on prenne soin de moi.
Nul besoin d’être un parent parfait, mais une bonne moyenne est essentielle. Ce premier comportement d’attachement assure la survie comme une plante a besoin d’eau mais cela n’assure pas la croissance et le développement.
Pour cela, il utilise alors sa deuxième arme secrète : Être KAWAI (= mignon en japonais). On assure le développement du bébé en jouant avec lui, en l’encourageant et en s’intéressant à lui. C’est un appel à la connexion pour l’aider à grandir.
Si cela fonctionne bien, l’enfant développe un style d’attachement sécure. Il va donc appeler quand il a vraiment besoin et va accepter qu’on l’apaise.
Le style d’attachement est comme un langage relationnel et nous souhaitons que les êtres humains apprennent à parler de façon sécurisée.
Or, au départ, il y a peu de chances pour qu’un enfant adopté détienne un langage sécurisé (95% des cas). Il est important que le parent parle une langue sécurisée pour apprendre celle-ci à son enfant. On ne peut pas enseigner une langue que l’on ne connait pas.
Parent sécurisé = parent sécurisable
A son arrivée, comme la langue de l’enfant est souvent insécurisée, il préfère parfois ne pas appeler quand il a besoin. Il faut donc aller au-devant de ses besoins et lui montrer qu’il a le droit de déranger (= enfant « SOLO »). Cette reprogrammation n’est pas évidente.
D’autres vont surutiliser leur besoin d’attachement (appel au SAMU) et font des appels à la connexion sans temps de pause (= enfant « VELCRO »). L’enfant se souvient alors qu’il est important d’appeler l’adulte car on ne sait pas s’il sera là la prochaine fois.
D’autres vont surutiliser « l’appel au SAMU » mais lorsque le parent arrive, l’enfant va le repousser ou être méchant avec ce donneur de soin (= enfant «SUMO »)
Parfois, les enfants adoptés répondent à ces deux types d’attachement insécure, c’est un langage d’attachement ambivalent.
Développer le lien prend du temps et ne se fait pas de suite.
Le langage d’attachement sécurisé s’apprend et sera comme une 2eme langue : la première restera ce qui veut dire quelle pourra revenir lors d’événements graves (perte d’une personne proche ou d’un animal, changement d’enseignant ou d’établissement …).
Ce style d’attachement insécurisé va teinter sa façon de faire confiance aux autres et le rendre plus vulnérable à toutes les relations humaines.
4/ La peur du rejet et de décevoir :
L’enfant pense qu’il a été abandonné car il a déçu son parent biologique. Même si on lui explique que cela n’est pas le cas, cela est ancré dans son cerveau de survie et il aura toujours un doute. Ils vont alors souvent soit devenir évitants ou se surajuster afin de ne pas décevoir.
C’est un peu comme le syndrome du mauvais bébé : c’est un ressenti contre lequel le parent ne peut rien. Même s’il a une famille formidable, cela n’effacera jamais ça.
5/ Les émotions en montagnes Russes :
Le donneur de soins doit répondre aux émotions de l’enfant. Avant 4 ans, les caprices n’existent pas. L’enfant ne détient pas la capacité biologique pour se calmer. Il est important de lui dire qu’il a le droit d’être triste ou en colère. Le miroir des émotions est important pour lui afin d’apprivoiser ces dernières.
Les émotions sont comme des messagers. Il y a celles qui améliorent la vie (joie ..) et celles qui nous protègent (peur, colère..). Toutes sont utiles, on doit apprendre à les décoder et ceci est le défi d’une vie. Cependant, les émotions sont surtout apprivoisées durant les 1 000 premiers jours de vie.
6/ Le stress
C’est une réponse physiologique normale à un danger perçu ou réel. Notre travail de parent est d’accueillir l’enfant avec le moins de stress possible en post adoption. Ces enfants sont souvent plus stressés et plus longtemps que les autres. S’il y a absence de régulation alors le stress devient chronique.
Souvent, cela peut être en lien avec une maltraitance passive (ce qu’on ne leur a pas fait). Ils peuvent également être stressés s’il y a trop de nouveauté ou que leur égo est menacé, il faut activement combattre ce stress.
7/ L’insécurité affective
Elle est présente malgré un attachement sécure, ceci est typique du post-traumatique. Les enfants adoptés ont vécu des épreuves et imaginent donc toujours le pire. Le sentiment de sécurité n’est pas objectif. Cette insécurité se réactive facilement, le pire serait que ceci soit banalisé de notre côté. Ces angoisses sont réelles.
On ne choisit jamais d’avoir peur.
8/ Un développement différent
Ils vont souvent récupérer leur retard rapidement (moteur, motricité fine …). En revanche, leur maturité affective reste souvent ce qui perdure en dernier dans le retard de développement chez l’enfant adopté. L’écart avec l’âge biologique perdure longtemps et c’est souvent ce qui explique les soucis de comportement.
Son développement affectif est souvent un peu différent et nous devons l’accepter.
9/ Scolarité = défis
Les difficultés d’apprentissage peuvent être transitoires. 20 à 25 % des enfants adoptés présentent des troubles des apprentissages (contre 7 à 8% des enfants biologiques). Cela signifie aussi que 75% n’en ont aucun !
10/ Estime de soi fragile
L’enfant adopté pense souvent qu’il devait être un mauvais bébé. Il peut se sentir bien dans sa famille adoptive mais il se demandera toujours pourquoi ses premiers parents n’ont pas voulu de lui. Mme Lemieux parle d’un enfant « Patchwork ».
11/ Identité courtepointe
L’enfant a sa place partout et nulle part. Ceci n’est pas insurmontable mais si on adopte un enfant avec une ethnie différente de la nôtre, il y a des choses que l’on ne pourra jamais comprendre. La conférencière nous rassure sur le fait qu’à l’intérieur de nos familles on ne voit plus cette différence, tout comme avec le cercle proche (village …) mais elle conseille de se rapprocher de personne similaire à cette enfant.
12/ OMNI (objet manquant non identifié)
Un morceau de puzzle manque à nos enfants, c’est comme un vide sidéral. Beaucoup d’enfants pensent que cela sera comblé lorsqu’ils rencontreront leur famille biologique mais c’est inexact.
Parfois, ils tentent de combler cela avec autre chose comme la nourriture, ils ne comprennent pas pourquoi cela fait mal.
Ce n’est pas le travail des parents adoptifs de combler cet OMNI. En revanche, il est important de dire que l’on sait qu’il a ce manque et qu’il est parfois très douloureux. On le croit et on est avec lui.
Apprivoiser ce vide est le travail d’une vie pour une personne adoptée. On connait la normalité adoptive en tant que parent, on peut alors dire à notre enfant que nous sommes alors aussi dans cette normalité et qu’ils n’ont pas besoin de se comparer aux modèles de base.
Il est inutile de les accompagner comme nous voudrions qu’ils soient mais juste comme ils sont.
Mme Lemieux termine la conférence pas un temps d’échanges avec les questions de la salle.
Que répondre aux questions de nos enfants comme par exemple pourquoi ai-je été abandonné ?
L’essentiel est de ne jamais faire d’hypothèses infondées. Elles feront plus de mal que de bien. En revanche, il est important de rassurer l’enfant en lui disant que c’est toujours en lien avec des problèmes d’adultes et que ce n’est jamais de la faute de l’enfant.
Souvent, plusieurs problèmes en sont la cause et les adultes n’ont pas trouvé de solution.
Aucun adulte ne se sépare d’un enfant par plaisir, mais on ne sait pas pourquoi.
Il ne faut pas mentir à un enfant, cela briserait le lien de confiance avec lui. Il est important de lui rappeler que dans la vie, il n’y a pas de réponse pour tout.
Certains enfants se posent de nombreuses questions et n’ont pas tant besoin de réponses et vice versa.
Il peut être intéressant de créer avec son enfant une boite à racines, cela poursuit le lien pré et post adoption.
Est-ce qu’il existe un livre type « adoption pour les nuls » ? Cela pourrait être intéressant pour parler de l’adoption avec nos proches.
Mme Lemieux nous renvoie vers la lettre aux grands-parents qui peut être adaptée. Elle évoque peut-être un nouveau projet de livre mais cela reste encore à l’étape embryonnaire … affaire à suivre !!
Merci à EFA37 pour cette magnifique soirée et à EFA41 pour le partage de cet évènement. Enfin, merci surtout à Mme Lemieux pour sa venue dans notre belle région, et pour cette conférence si riche en informations pour nous futurs parents adoptifs.